François Bayrou François Bayrou
Voici les réponses de François Bayrou, président de l'UDF, aux questions posées par La France Agricole à tous les candidats à l'élection présidentielle de 2007.
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1 - Quelles sont les perspectives du métier d'agriculteur?
La France doit être porteuse d'une nouvelle vision des enjeux agricoles et alimentaires au niveau mondial. C'est ce que je propose.
Toute notre action, au niveau national mais aussi au niveau européen et au niveau de l'OMC, doit être focalisée sur un principe de bon sens: le travail de production doit pouvoir être rémunéré par le prix des produits. Les perspectives du métier d'agriculteur, ce sont celles d'une rémunération de leur travail par le prix de leurs produits, au sein de grands marchés communs relevant d'une organisation mondiale de l'agriculture.
On nous serine que la demande alimentaire mondiale est en expansion. C'est vrai, mais tout le problème vient de ce que cette demande est massivement insolvable et insatisfaite. Or, c'est essentiellement la demande alimentaire paysanne qui est insolvable: 80% des 850 millions d'affamés, dans le monde, sont des paysans.
Paradoxalement, pour réduire l'insolvabilité de la demande alimentaire et du même coup augmenter la production agricole mondiale, il faut protéger le revenu paysan. C'est une nécessité.
2 - OMC: L'Europe doit-elle encore faire des concessions pour parvenir à un accord? Comptez-vous vous opposer à un accord qui léserait les intérêts agricoles et comment?
La première chose que doit faire l'Europe à l'OMC, c'est cesser de faire des concessions sans parvenir à un accord.
La force de la position française à l'international ne reposera pas sur la défense de ses seuls intérêts, mais sur une vision globale qui peut convaincre. Le cycle actuel de négociations, celui de Doha, s'appelle «cycle du développement». Or, ma vision d'une organisation mondiale de l'agriculture est précisément fondée sur une analyse des problèmes de développement des pays pauvres.
Je démontrerai que c'est dans l'intérêt de toutes les paysanneries du monde, et pas seulement du modèle français ni même européen, que nous devons changer d'orientation au niveau mondial. Et défendre toutes les paysanneries du monde, c'est le seul moyen sérieux de s'attaquer vraiment au défi du sous-développement et au fléau de la faim dans le monde.
3 - Faut-il encore une Pac après 2013? Certains trouvent que le budget de la Pac devrait être redéployé vers la recherche et l'éducation, êtes-vous de ceux-là?
NDLR : Le candidat n'a pas apporté de réponse à cette question.
4 - En 2008, l'examen à mi-parcours de la Pac doit-il se cantonner à un bilan de santé, évoluer vers une redistribution des aides ou se transformer en une réforme encore plus profonde?
Sous prétexte d'en évaluer l'impact et de la simplifier, on est en train de détricoter la Pac depuis quinze ans, en la rendant de plus en plus insupportable. L'OCM unique, par exemple, dissimule mal une volonté de démantèlement des mécanismes de régulation qui restent.
C'est donc un changement profond dont il faut convaincre nos partenaires. Il faut en revenir au principe de la préférence communautaire et d'un marché commun qui rémunère les agriculteurs par les prix, mais en proposant que cette solution soit généralisée par grandes régions du monde suffisamment homogènes du point de vue de la productivité agricole et des habitudes alimentaires. De nombreux pays sont insatisfaits de ce qui se déroule à l'OMC et seront nos alliés. Je pense au Japon, à de nombreux pays d'Afrique, mais aussi au Luxembourg ou à l'Autriche, plus près de nous…
Mais d'ici là, il faut laisser aux agriculteurs le soin de s'organiser dans la mise sur le marché de leurs produits. Au lieu de supprimer les dérogations du droit agricole communautaire au droit de la concurrence, il faut au contraire les protéger. Par l'exercice du droit syndical, du droit interprofessionnel, et par l'utilisation d'outils juridiques comme le statut coopératif, les paysans doivent pouvoir agir collectivement pour optimiser leur revenu.
Et la Pac doit les accompagner et les encourager dans leurs efforts pour investir dans l'aval de leurs filières, au contact des marchés.
5 - Faut-il développer les biocarburants industriels?
Les débouchés non alimentaires de l'agriculture, dont les biocarburants aujourd'hui, changent radicalement la donne. Il y a quelques années, prétendre rémunérer la production agricole par le prix des produits supposait qu'on accepte des mesures de contingentement de la production, pour maîtriser le volume de l'offre mise sur le marché.
Mais aujourd'hui, on peut envisager que les agriculteurs procèdent à un arbitrage entre les débouchés alimentaires et les débouchés non alimentaires pour stabiliser les cours sur ces deux grands marchés. Cela suppose que la recherche et le développement soient soutenus et encouragés dans ce domaine, nouveau, de l'utilisation de la biomasse.
6 - Etes-vous favorable au développement des bioénergies en circuit court? Dans les faits et au-delà des discours, on observe depuis de nombreuses années que beaucoup de «bâtons ont été mis dans les roues» de ces microfilières de proximité (tracasseries administratives, paperasserie et fiscalité dissuasives, tarif de rachat de l'électricité insuffisant). Vous engagez-vous à ce que le double langage cesse?
(*) biogaz, huile végétales pures, chaudières polycombustibles, etc.
Je suis globalement favorable aux circuits courts: c'est aussi le principe de l'encouragement de l'approvisionnement des bassins de consommation par les bassins de production qui y sont superposables.
Mais je n'oppose pas les circuits courts et l'industrie. Un enjeu comme celui du non-alimentaire mérite de gros investissements dans des outils de transformation. Les agriculteurs doivent d'ailleurs être encouragés à détenir ces capitaux qui permettent de valoriser leur production.
7 - Jusqu'où doit aller la prise en compte de l'environnement? Croyez-vous par exemple à une agriculture sans pesticides?
La prise en compte de l'environnement doit aller aussi loin que le permet une approche non dogmatique de cette grave question. Dit autrement, une approche qui ne tient aucun compte de la rémunération, par le marché, des contraintes et du travail que l'on s'impose est une approche sans avenir.
Pour aller plus loin dans cette prise en compte, il faut donc deux choses complémentaires: imposer à nos partenaires qui prétendent avoir accès à nos marchés, par la négociation, les contraintes que nous nous imposons à nous-mêmes, et rendre visibles sur le marché par des démarches qualité les efforts qui sont fournis, pour qu'ils soient repérés et rémunérés à leur juste valeur.
Quant à l'hypothèse d'une agriculture sans pesticides, elle renvoie à un travail de recherche qui n'est pas encore fourni mais qui n'est pas impossible. C'est, en tous cas, un axe de recherche qui est à encourager. Et d'ici là, il faut promouvoir l'agriculture sous signe de qualité, dont l'agriculture biologique, et l'agriculture raisonnée.
8 - L'agriculture est-elle d'abord faite pour produire?
Bien sûr, et le fait que la question puisse se poser laisse songeur. L'enjeu agricole est d'abord et avant tout un enjeu alimentaire.
Au niveau mondial, nous serons environ 9 milliards d'habitants d'ici une cinquantaine d'années: si on veut que tout le monde soit convenablement nourri d'ici là, la production alimentaire mondiale doit être multipliée par trois.
Même dans les régions du monde qui ne sont plus menacées par la famine, la protection de l'approvisionnement alimentaire est un enjeu géostratégique de toute première importance.
L'organisation mondiale de l'agriculture que je préconise est aussi faite pour tenir compte de cet enjeu: au niveau mondial, il faut veiller à diversifier les zones de production agricole. Il ne serait pas raisonnable de concentrer l'essentiel de la production des produits de première nécessité dans les mêmes endroits, parce que la production agricole n'est jamais certaine. Elle est soumise à des aléas, notamment climatiques mais aussi politiques, qui ne doivent pas être perdus de vue.
Au niveau français, on insiste, fort justement, sur tous les effets induits du travail agricole que sont la beauté de nos paysages, la typicité de nos terroirs, la diversité de nos produits… mais ces atouts, qui constituent un patrimoine culturel et qui font partie intégrante de notre identité, sont indissociablement liés au travail de production.
Un paysan est et reste avant tout un producteur. Imaginer qu'il puisse concevoir son métier autrement, et accepter par exemple d'être payé par de l'argent public en raison d'autre chose que son travail de production, c'est ne pas connaître ce métier.
9 - La France doit-elle cultiver des OGM?
Je suis favorable à un moratoire sur les OGM. Il faut qu'une conférence scientifique indépendante, ayant les moyens de travailler librement, se prononce sur les risques sanitaires et environnementaux encourus par les cultures OGM de plein champ.
10 - Que comptez-vous faire pour abaisser les charges pesant sur les exploitations agricoles?
La première de ces charges qu'il faut alléger d'urgence, c'est celle du temps que prend la paperasserie administrative. Simplifier l'administration de l'agriculture est un impératif qui ne peut plus souffrir de délais.
Les autres charges, financières, sont prises en compte par diverses mesures ne portant pas exclusivement sur l'agriculture mais qui la concernent aussi. Je pense aux deux emplois sans charges que je propose dans mon projet, qui intéressent plus particulièrement le monde des PME et des TPE.
11 - Etes-vous favorable à une TVA sociale en agriculture?
C'est une mesure à laquelle nous devons réfléchir.
Couplée avec d'autres mesures, la TVA sociale présente un réel avantage: elle allège le coût du travail et fait porter une partie du financement de notre protection sociale sur les produits importés autant que sur ceux produits sur le territoire.
12 - Que comptez-vous faire pour maintenir les services publics en milieu rural et développer la couverture des campagnes par les moyens modernes de communication?
L'Etat est omniprésent dans les centres-villes. Mais il doit être renforcé dans les zones où on en a le plus besoin, les banlieues, les zones rurales.
Je veux préserver les services publics dans les zones les plus excentrées, en particulier en regroupant dans un seul point de rencontre les différents services offerts à la population, la poste, les impôts, les services d'aides à la personne et à l'emploi. Les habitants des zones rurales ont aussi besoin de maisons de santé, d'école… C'est la première arme pour lutter contre la désertification des campagnes, et y créer de l'activité.
L'accès à l'internet, dans ce contexte, doit être une priorité. Là aussi, nous devons encourager la création de services d'installation et d'entretien d'équipements, avec le minimum de formation requis, pour que cet accès soit généralisé en milieu rural et facilite la mise en place de réseaux.
13 - Que proposez-vous pour enrayer le grignotage des terres agricoles?
La première des mesures qui permettront d'enrayer cette spirale est la visibilité donnée à l'avenir du métier de paysan. C'est par un réinvestissement fort, à l'international, de la France sur le rôle et la place que doivent avoir toutes les agricultures du monde, qu'il sera redonné une vision et un sens à ce métier, qui n'appartient pas au passé et n'est pas une nostalgie.
Cela dit, il est certain que la pression foncière est forte, en France. On compte environ 0,5 hectare de SAU par habitant en France contre près de 0,7 en moyenne chez nos partenaires européens de l'ouest de l'Union, et plusieurs hectares en Amérique du Nord ou en Australie. L'opportunité d'affecter une terre à une utilisation ou une autre se pose plus vivement en France qu'ailleurs.
Mais les choix et les arbitrages relèvent avant tout des politiques appliquées localement, et des prérogatives des collectivités locales. Des outils peuvent être mis en place. J'ai connaissance de travaux sur l'idée d'une taxe sur le changement de destination des terres agricoles: je suis ouvert sur ce sujet.
14 - Faut-il revaloriser les retraites agricoles et si oui comment?
La revalorisation des retraites agricoles est un impératif. Il faut parachever le rattrapage des retraites agricoles et faire évoluer leur montant comme celui des autres régimes. Cette question renvoie aussi à celle du financement de la transmission et de la création d'entreprises agricoles. La politique actuelle est héritée de celle qui a été mise en place dans les années 1970: le choix était d'aider à l'acquisition, pour que le cédant réalise un capital permettant de compléter une trop maigre retraite.
Mais le contexte était celui d'un taux d'inflation et de taux d'intérêt à deux chiffres: il faut repenser ce dispositif. Aujourd'hui, non seulement les retraites agricoles sont encore trop faibles mais le coût d'accès au capital d'une entreprise est disproportionné par rapport au revenu qu'elle permet de dégager.
C'est pourquoi il est absolument nécessaire, parce qu'il s'agit d'une véritable fracture entre les générations, de revaloriser toutes les petites retraites. Je me prononce, dans mon projet, pour que cette revalorisation atteigne 90% du Smic en cinq ans. Cela se fera par une réforme équitable, durable et soutenable qui prendra en compte toutes les retraites, y compris celles de régimes spéciaux.
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